Le numérique émet plus de CO2 que l’aviation. L'énergie nécessaire à la fabrication des smartphones, des ordinateurs engendre des gaz à effet de serre. Laurie Marrauld de l’EHESP, travaille sur ce sujet, qu’elle souhaite voir au cœur des débats de la prochaine présidentielle.
Quand on parle gaz à effet de serre et réchauffement de la planète, on pense plus à des avions, des voitures ou des cheminées qui rejettent de vilaines fumées. Pourtant le secteur du numérique, téléphonie et informatique, émet plus de gaz à effet de serre (GES) que le trafic aérien (avant le Covid).
Laurie Marrauld, maîtresse de conférences et enseignante chercheuse à l’EHESP (école des hautes études en santé publique) de Rennes participe au think tank, the Shift Project. Un groupe de réflexion axé sur la décarbonation, c’est-à-dire la baisse d’émission de gaz à effet de serre, principalement le dioxyde de carbone (CO2) et le méthane issus de combustibles fossiles (charbon, pétrole et gaz naturel).
"Le numérique produit 3.5% des gaz à effet de serre (GES) de la planète quand le trafic aérien (en temps normal, avant le Covid) n’en génère que 2%", rappelle d’emblée Laurie Marrauld.
Une pollution invisible
Et c’est là que le bât blesse. La pollution liée à l’économie numérique demeure invisible aux yeux de la plupart d’entre nous. Pourtant la part de l’énergie consommée par le numérique augmente de 6% par an, d’après le rapport 2020 du Shift Project.
"Ça ne se voit pas. Tout se passe ailleurs. 95% de l’empreinte carbone du numérique provient de la production du matériel : ordinateurs, téléphones, serveurs, antennes…", précise la chercheuse.
Des équipements fabriqués essentiellement en Asie. "Un matériel victime d’obsolescence précoce, appuie Laurie Marrauld. Les usagers veulent plus de vidéos, de la 5G…et changent régulièrement leurs équipements." Dans le même temps, seuls 10% des smartphones sont recyclés.
#SobriétéNumérique: « Face à l’impact environnemental du numérique, le Shift publie un nouveau rapport sur les méthodes concrètes pour déployer la sobriété numérique partout, y compris dans les entreprises. » A lire sur: https://t.co/ZRXgBZRSPQ @usinenouvelle pic.twitter.com/vFdIiCNJpa
— The Shift Project (@theShiftPR0JECT) October 26, 2020
"Il est temps de s’interroger sur les usages du numérique et d’avoir des arbitrages, avance la chercheuse. Déterminer où on déploie des antennes par exemple. Ce n’est pas aux industriels de décider seuls de ce qu’on fait."
La volonté de mettre en place une instance de régulation du numérique
Shift Project milite pour la mise en place d’une instance de régulation du numérique comprenant des politiques, des membres de la société civile, des experts et des industriels. "La campagne présidentielle de 2022 sera l’occasion de débattre de ces question", espère Laurie Marrauld.
"On pourra toujours inventer de nouvelles technologies, à l’image de la 5G, mais on ne pourra pas garantir des gains environnementaux. Donc il faut vraiment s’interroger sur les dégâts causés en contrepartie, précise Laurie Marrauld. La 5G nécessitera un renouvellement complet des téléphones mobiles et des antennes."
Elle appelle de ses vœux des objectifs quantifiés : "On ne peut pas développer à l’envi. Pourtant, on a l’habitude de voir le numérique comme un service illimité à l’image des abonnements internet illimités. C’est dangereux dans la vision que ça donne."
L'économie de l'attention
Pour rentabiliser une offre d’accès illimité au réseau internet, les professionnels du numérique ont construit un modèle économique autour de la publicité et de la vente de données : l’économie de l’attention.
Dès lors, il est important de capter l’attention de l’internaute le plus longtemps possible. Tout est bon pour y parvenir : pop up (fenêtres surgissantes), propositions de vidéos, notifications… "Tout ceci provoque une surconsommation délétère. Délétère pour l’environnement, délétère psychologiquement et physiquement pour l’internaute qui ne bouge plus assez."
Shift Project appelle aussi les entreprises à réfléchir sur la consommation énergétique et l’empreinte carbone de leurs serveurs, des logiciels utilisés ou sur le bienfondé du renouvellement du parc de matériel.
Le télétravail est-il bon pour la planète ?
Et quand on évoque le monde du travail, la question qui brûle les lèvres est évidemment celle du télétravail fortement déployé pendant les confinements successifs.
Quel bilan peut-on en tirer sur les émissions de gaz à effet de serre ? "Pour l’instant avec la diminution des déplacements, il y a un gain environnemental même si l’activité numérique a augmenté, analyse Laurie Marrauld.
Mais attention à l’effet rebond. Quand on reprendra une vie normale, certains salariés peuvent choisir de rester certains jours en télétravail. Ils pourraient alors opter pour des logements plus éloignés de leur lieu d’activité et ainsi augmenter leur trajet."
Confiante sur la mise en place de bonnes pratiques, la chercheuse esquisse un parallèle avec le passé : "Tout déploiement de nouvelles techniques se déroule comme ça. D’abord c’est l’anarchie et ensuite une régulation voit le jour. C’est ce qui s’est passé pour l’automobile."